Et l'évidence-sonore prit la place d'évidence-gestes. La voix vit le jour, et avec lui le parler.
A ce stade, l'homme murmurait dans le dernier reste du geste décodable de ses lèvres. Et la voix jaillissait au milieu d'une compréhension infinie des lèvres.
Ce n'était encore que des voyelles murmurées, des susurrements, tel le parler des bébés, et le cri de volupté, et l'aboiement du chien angelisé, et les chatteries vocales de la maman.
Et les voyelles grossirent, la bouche s'ouvrit encore plus, et scanda bientôt des consonnes.
Le mot était né. Le parler avait obtenu un aboutissement en dehors de la face, désormais illisible.
Mais ces sons étaient “évidence”. Comme les gestes qui disent d'un trait tout ce qu'on veut dire, le mot alors n'était pas une idée encore, mais une évidence vivante, une synthèse de vérité, que le vase des sons avait véhiculé. Et le vase ici était consubstanciel au contenu, comme la vague est vase et contenu en un.
Le parler alors était uniquement son — son qui était évidence. Point d'interprétation possible, mais le jet direct au but, rien d'intermédiaire entre le son et ce qu'on voulait dire. Un tout était là: le son et la vérité en un, comme le geste de la main qui dit: “viens”. Et la correspondance était si totale entre le son et la vérité, que le son ne pouvait pas dire autre chose que son sens réel, à moins que modulé différemment, — point de double usage ici pour une même chose, comme nos mots à pluri-désignations. Le précis avait le sens absolu d'implication, c'est-à-dire celui de donner une désignation exacte de vérité par le diapason, dans la tendresse des nuances innommables. Le son était si précis, que chaque “immensité” avait son mot, et la phrase se condensait dans la syllabe et la lettre. C'était le temps des mots-lettre, des voyelles tonalisées et timbrées de telle sorte, que le cachet était sublimal, et par les nuances on pouvait tout dire dans le champ unitaire des voyelles, comme il y a des milliards de rouges de la Couleur rouge, dont chaque rouge pourtant est une universalité.
Dans le son métaphysique était la parole première.
Je vois d'ici les anges parlant ainsi. D'abord ceux des bas ciels, qui se serviraient de mots et de phrases, mais qui garderaient la correspondance-sons-idées toujours dans tout, la relation images et sons.
Et plus haut seraient les anges des syllabes et des diphtongues.
Et plus haut enfin, le Ciel des Voyelles.
Pour arriver finalement au Suprême Ciel, aux Anges du Silence, entre lesquels le geste-évidence serait la seule communication, —sourds-muets de Dieu, vivant la vie intérieure, au point de communiquer entre eux par la voie de l'âme, directement, sans paroles, langage ponctué çà et là de quelques gestes.
Dieu est Muet. Il agit. Dans Son Silence, Il se retire.
A quoi servent les paroles et les gestes, quand on communique par l'âme? Parler, n'est-ce pas un grand détour, — quand on peut aller directement ?
Les Anges Silencieux constitueraient le Suprême Ciel. Beaucoup même de ceux-ci verraient dans le Geste, un geste de trop.
La Langue est silence en dernier lieu, — Silence, toi parler absolu! — comme sont les fleurs muettes; comme est le parfum sans voix, évidence sans paroles.
Et les fleurs disent tellement davantage, en ne parlant pas. Eussent-elles parlé, qu'on ne les verrait plus.
Ainsi, ô être de beauté, clos tes lèvres et laisse parler ton cœur. Dans ton souffle, je te découvrirai alors, mieux que dans tes paroles mêmes. Et ton parfum me dira ton âme, plus que tous les plus beaux mots du monde.
Dans le Muet est le pivot de l'Universel, qui génère la musique de l'âme et met d'autres sons en nous.
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