VIII. Leur jonction

Le poète métaphysicien cherche par les vérités à atteindre les musiques intimes.
Le musicien métaphysicien cherche par les sons sublimés et quintessenciés à atteindre des essences de vérité.
À eux deux, ils bouclent la boucle. Mais comment ?
Voici comment ils y atteignent.
La vérité “musicale” du poète métaphysicien est une vibration cosmique et âmatique, que nous appelons “musicale”, mais qui n'a rien à voir avec notre conception humaine et terrestre de la musique. Cette vérité poétique est un état de sérénité de l'âme, de plénitude du savoir et de paix. Elle est musicale parce qu'elle “onde” de tout notre corps, elle nous met dans son corps et nous fait comme elle, vérité. Et cette vibration dernière et cette fusion, nous l'appelons “musique de l'âme”, mais le mot est court, il ne traduit pas le sens ultime que cet état de paix-joie-sérénité implique. Cette vibration donc est au-delà, intraduisible dans le langage humain; elle est une vérité intérieure, elle a un sens dernier du langage.
Or le musicien qui avance vers cette vérité ultime, touche lui aussi une vibration-essence, un fil tendu dans l'Espace de Dieu et qui reçoit Ses Ondes.
La musique ici est quintessenciée, sublimée au point de se fondre dans une vibration-essence. Et cette vibration “émane” une intelligence surnaturelle de la vie et de l'âme, une connaissance intime de tout, un état de fusion avec l'univers, une toute-perception de la vie.
Et, entre le dernier geste de la poésie métaphysique et cet ultime cri de musique, la différence paraîtrait impalpable, si ces gestes ne venaient de deux directions.
La poésie métaphysique finit par un geste de chaleur ondée de l'esprit: par les voies de lumière de l'intelligence, une chaleur de l'âme est générée, un amour de vérité qui se traduit par une résonance, par une pulsation extasiée du cœur de connaissance.
Et la musique à l'autre bout commence par une chaleur affective qui par la vibration accélérée gagnant les champs métaphysiques, se sublime en clarté, génère une lumière, se transpose en vérité, et donne un étincellement au bout, où la chaleur transfusée est devenu lumière.
La soudure absolue de ces deux gestes sera-t-elle jamais obtenue par l'expression jaillie à l'extérieur de l'homme, par la parole poético-métaphysique ou par l'instrument musical ? — cette soudure, pourtant put-elle être faite, qu'elle donnerait le geste quintessencié de connaissance, où la sublime vibration de chaleur et formant un même corps-essence, il n'y aurait aucune différence alors entre la musique et la parole, entre le Son et le Verbe, tels qu'ils sont dans la voix de Dieu, et tels que tous les corps des choses vivantes l'expriment: le vent dans les feuilles, le bruit de l'eau dans les flots, le chant du feu ou le cri de l'oiseau, — et que l'homme, lui, a divisés depuis longtemps, et qu'il cherche à retrouver aujourd'hui par la musique et par la parole, et qui soudées l'eussent mené au but.
L'approche la plus immédiate de cette chose fusée que toute la Nature reflète, se retrouve dans tous les regards parfaits, où lumière des yeux et paroles du regard sont au plus près, et dans le son des voix lumineuses, et dans des timbres divins qui sont toute-musique et toute-vérité. Mais, comme ces cas sont rares hélas, et dont la seule présence nous met en extase!
C'est vers cette essence pourtant que la musique tend, et que tend aussi la poésie miraculée: vers un but de connaissance intime de la vie, et qui surplomberait la science, comme les derniers contreforts du ciel surplombent l'abîme du sol à nos pieds.
Cette marche en deux sens referme toute la métaphysique actuelle.
Par moments, la poésie a une avance sur la musique, et à d'autres moments c'est la musique qui est à l'avant-garde.
Ce geste religieux de double avancée s'épaule sans qu'on s'en doute, par les musiques intimes des mots et par les gestes de vérité des notes surnaturelles.
Par la fusion des voyelles et le jaillissement de leurs essences secrètes sous la pression de vérité, et qui s'exprime musicalement dans l'âme, des notes nouvelles viennent dans la vie des connaissances neuves de l'alphabet apparaissent.
Par des allitérations de plus en plus intérieures, par des éclatements de consonnes de plus en plus savants, par des onomatopées découvertes, le geste intérieur de la musique des mots jaillit et inonde le champ perceptif, emportant de nouvelles connaissances dans l'âme, des résonances intimes, et une vibration de vérité toute angélique.
Et la musique de son côté — témoin Ravel — fuse les sons en voyelles-connaissance, qui sont des mots divins, comme les parlers d'ange tout en voyelles, où la consonne met un geste d'intelligence au sein des chairs de chaleur des notes.
Et pendant que la voyelle poétique marche vers la note extasiée, la note séraphique cherche à parler par des voyelles suressentielles qui font mot.
Et un jour, les mots seront fusés en cris, en délire vocal tellement apparenté à la musique, et la musique parlera à tel point en paroles, en articulant telle une bouche humaine, qu'en faisant un pont entre ces mots qui veulent devenir bouche et cette bouche qui veut devenir mot, un Mot-Bouche jaillira dans l'espace, et ce sera le Surnaturel de la vie accompli, qui empruntera autant la bouche des mots que la bouche des sons, faisant du tout un seul Cri, où le mot sera musique et la musique sera parole.
Point de différence alors n'existera entre la musique et le verbe, et ces deux arts seront soudés, et la musique sera morte dans le verbe, et le verbe sera mort dans la musique, par une résurrection et une réincarnation ailleurs, — même papier pour deux écritures, même orthographes pour deux compositions, même style pour deux essences. et il n'y aura plus dès lors qu'un Art pour deux reflets: sur l'un des versants sera la musique, et sur l'autre versant sera la poésie.
Et au lieu de les coupler comme dans la poésie accompagnée, qui le chant suivi par des notes de l'extérieur, le poète sera son seul accompagnateur, et toute poésie sera chantée par la musique même qu'elle contiendra, et la musique sera mots si visibles, qu'il n'y aura aucune utilité d'en mettre de l'extérieur.
Et une soirée en musique et une soirée en poésie seront la même chose, sauf que celle-là visera vers la poésie et celle-ci vers la musique, par des gestes inversés.
Et en alternant ces deux essences, la quintessence de jouissance sera atteinte.
Telle était la vie dans l'Eden, — et que l'homme a divorcée en lui-même.
Réunir, faire rejoindre la musique et le verbe, serait la plus grande contribution vers ce Retour.
Wagner a cherché à atteindre ce geste même. Rimbaud, Mallarmé l'ont cherché dans le sens opposé de départ. Ravel l'a suivi frénétiquement dans la voie ésotérique des sons naturels.
Et d'autres viendront qui iront encore plus loin.
Âmes-sœurs, Parole et Musique veulent se rejoindre.
L'homme est là pour la jonction.
Dans cette rencontre mystique, une somme de joie est incluse, qui est d'une telle richesse, que l'esprit titube d'ivresse en y pensant, et tombe dans l'extase.
Cette jonction ne pourra peut-être jamais être atteinte. Mais qu'importe! Il faut qu'on ait un but.
Situer le but c'est déjà renforcer les efforts, car qui sait où il va, s'est déjà lesté pour la route.
Dans le chemin des voyelles entourées de gestes de consonnes comme une limitation sur le monde, est la voie royale de poésie, vers la musique quintessenciée de connaissance.
Et par le chemin des notes fusant vers la voyelle et la consonne en extrême bordure vers le monde, — dernier parapet qui nous protège de l'égarement terrestre — vers les notes qui parlent, marche le musicien divin.
Découvrir où la voyelle qui se fait note angélique et la note courante qui devient voyelle séraphique se rejoignent, — découvrir cela concerne la chose extatique en nous. Et si moi-même j'avais pu découvrir ce Lien, je ne serais pas ici à marcher sur la route comme un simple pèlerin, tels mes devanciers.
Une approche inconsciente super-extatique a sans doute été atteinte d'assez près par certains saints — mais ils n'ont pas su trouver l'expression voulue pour nous la communiquer — car l'expression angélique n'est plus de la terre — il y a donc toujours chemin pour la recherche.
Peut-être qu'ici l'homme devra-t-il se limiter à la seule expérience personnelle et intraduisible, et qui même traduisible, ne pourrait être saisie par tous, et ne serait transmissible qu'à certains.
Nul ne sait ce que sera l'avenir.
Une chose est certaine pourtant, c'est que l'Esprit s'est trop relégué jusqu'ici aux initiés.
Répandre la manne sera l'œuvre de demain.
Mais les hommes sauront-ils comprendre ?
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