Passons maintenant dans un monde surnaturel dépassant la terre. Essayons de deviner quel peut être le langage angélique, et par lui, cherchons à connaître le dernier étalon de sagesse.
Contemplez cet enfant. il zézaye, il titube sur les mots, il bute et chante comme l'oiseau, il roucoule comme le ruisseau. Mais nous dirons: “O, bégaiement d'ange!” Et sans nous en douter, nous aurons touché de très près à la suprême vérité.
Voici la maman qui se penche sur l'enfant. Elle a des chatteries pour lui. Elle aussi roucoule, elle aussi invente des mots, elle aussi titube et patine sur les lettres, créant des onomatopées dans de ridicules et divins susurrements. Et la maman le fait pour se faire comprendre du bébé dans les langes. Elle parle le langage de celui-ci. Elle se fait ”bébé” pour le bébé. Et l'enfant rit, et l'enfant comprend, du fin fond de son paradis, ce que la maman veut dire.
Et voici un chien. Pour se faire comprendre du chien, nul chien ne se servira d'un langage d'Aristote. Et on ne raisonnera pas non plus pour lui parler. on dira: “Va-t-en, ou viens”, — non qu'on croie que le chien comprend notre langage, mais il comprend quand même notre ton et cela suffit, — ton de voix qui fera entendre au chien qu'il devra venir ou s'en aller. Le ton est universellement saisi à travers le champ vivant, parce qu'il est un pour tous. Or, voici nous avons conversé avec le chien sans connaître son langage. Donc il y a un dénominateur commun entre le parler du chien et le nôtre. Et c'est le ton — ce ton que les chasseurs connaissent, et qui les permet d'entendre parler les bêtes.
Voici la volupté et ses clameurs, et ses plaintes et ses roucoulements, qui disent tant de choses, d'une âme à une autre âme. Ici l'être parle avec le Divin. Il a un langage en dehors des cadres poétiques, mystiques, ou musicaux connus. C'est le cri de la terre, du ventre de l'espace, et de la cascade charnelle intérieure et de l'univers de l'âme.
Or, entre le langage du chien et les bégaiements de l'enfant, entre les cris de volupté et les larmes de voix de la mère, — et tant de choses encore au sein de la vaste Nature et que nous ne nommons pas — entre toutes ces choses, un lien commun passe et lie: le langage instinctif.
L'enfant dans les langes est tout-instinct. La mère qui parle au petit enfant revient à l'instinct, et l'instinct nous dicte notre parler avec les bêtes, et la volupté est total-instinct.
Le langage de l'instinct est la langue vivante. Le poète cherche à y revenir. La langue des mystiques y est revenue en plein. Les fous de Dieu parlent le langage angélique.
Qu'est le langage angélique? Un pur parler d'instinct, renfermé dans nos os, cuvé dans notre chair, bouilli de notre sans : c'est l'exsudation de notre matière grise, quand nous n'y mettons aucun frein.
Déshabiller la pensée, la mettre nue comme dans l'Eden, nous donnerait ce langage angélique.
Ce langage perce en courtes étincelles, de temps en temps dans la langue des poètes. Il est là dans la musique divine.
Et cependant le gosse comme les corps voluptueux qui s'étreignent ne parlent que cette langue.
Et aboyer contient affectivement le ton angélique, même si le timbre d'ange n'y est pas. Et si on retrouve le roucoulement dans l'exaltation dernière de l'amour, c'est parce que la bête si pure contient l'angélique.
Or instinct est vérité.
Vérité ? Comment ?
Toute chose qui vit de ses moelles, trouvera le diapason sans geste appris. Le parler a été mis en nous par Dieu dès la Création. Nous l'avons enseveli depuis sous notre parler rapporté, par geste artificiel de l'âme. Nous avons recouvert ce parler premier. Une pointe çà et là en jaillit pourtant par moments dans certains accents d'anges des poètes. Mais l'étincelle est courte et non liée. Elle suffit cependant pour nous donner le vertige.
Donc le parler d'ange est en nous. Il ne suffit que de le réveiller, de le dégager.
L'enfant l'a à fleur de peau, — et que la vie bientôt recouvrira.
La maman fouille en elle-même pour correspondre avec l'enfant. L'amour lui donnera ces accents perdus. Er ce sera le geste de miracle de la maternité.
Et la volupté trouvera ce langage surnaturel, parce que la volupté et le geste le plus nu de la vie. La volupté dévêt, et nous parachutant en nous-même, nous fait toucher des terres inconnues, nous fait parler une autre langue.
L'Eden pourtant avait cet Universel Langage. Plus de Tours de Babel alors, — ce n'est venu qu'après. tout être vivant parlait dans l'Eden une même langue: la langue instinctive, qui avait des variations sans fin, chez les animaux, dans les gestes du vent, etc — selon les qualités d'esprit des choses et selon leurs natures affectives. Mais la base était la même pour tous: pour le langage-Dieu, comme pour le langage des os et des eaux, du cartilage et de la feuille, de la roche et des blés.
La langue était une dans tout le champ vivant, et tout comprenait tout, tout conversait avec tout, car tout parlait le même idiome de base, avec des variances de timbre et de tons à l'infini.
C'était le langage angélique.
Or ce langage est resté pour les choses, pour les animaux, pour le vent, pour le feu, pour l'eau, etc. Mais ces sons intérieurs, notre oreille ne les entend plus. Ces sons restent cachés dans les bruits courants. pussions-nous les réentendre, que nous parlerions leur langage. Car l'ouïe forme corps avec la voix, passé certaines limites. Et ce que l'une peut, l'autre peut.
Aussi le poète qui cherche les onomatopées naturelles, cherche-t-il le langage angélique.
Et cette langue — pré-apprise, toute apprise — est une pour toutes.
Le Cafre comme l'Allemand, le Turc comme l'Américain, le Peau-Rouge comme l’Esquimeau, le Chinois comme l’Indien parleraient-ils cette langue, — pussent-ils être remis dans l'instinct, — qu'ils la prendraient de leur os et de leur moelle, car ce langage est tout homme à jamais, il est en nous de nature, il ne suffit que de le faire jaillir.
Le faire agir serait l’Eden, car il n'y aurait plus de différences alors entre les hommes, sauf par les goûts et les tendances. D'âme, l'humain serait une dans les principes, car cette langue est un langage des principes et d'essence, et celui qui le parlerait serait dans le Principe et dans l'Essence, axé au Tout-Universel.
Le fait de parler ce langage signifierait qu'on est dans tout. Etant dans tout, tout le monde se toucherait et comprendrait.
Se comprendrait ?
Mais pourquoi se comprendre, puisque ce langage est : il est compréhension et parole en lui-même: évidence.
Le langage angélique est la Langue des Évidences.
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