III. Génèse de la musique instrumentale

Les instruments musicaux sont des parties dissociées de la voix humaine. Chacun d’eux représente une section de la voix. En possèderait-on dix millions de ces instruments, qu’on n’en aurait pas encore le tout. Et aurait-on le tout, qu’on ne saurait les souder, car il faudrait pour cela un chef-d’orchestre que Dieu seul donne. Seule la voix possède ce chef-d’orchestre, et il est invisible dans toutes les parties de la voix à la fois, il est l’âme dans la voix, et doit être intérieure, et non hors les instruments comme le mæstro.
L’homme des premiers temps avait sa voix. Cela lui suffisait.
Les sons naturels, il les entendait en orchestre. Il jouissait de sa musique intérieure — le chant de l’âme — et de la musique extérieure soudée à cette âme musicale en lui.
La vie était alors en lui, et l’homme était dans la vie.
Et dans les sons naturels, l’homme entendait la toute-voix d’unité. Les sons naturels étaient un parler que nous appellerions aujourd’hui “ métaphysique “ — mais qui était “ nature “ à l’homme de l’Origine. Dans les sons naturels, l’homme obtenait alors une connaissance essentielle, car le son est connaissance — parler de nature, où le son dégage des vérités.
À ce stade, l’homme lisait dans les sons, et, par le code spirituel des correspondances, il obtenait la parole vivante, le verbe des choses, l’évangile naturel, la Bible du Vivant.
L’homme ne pouvait donc en ces temps très anciens chercher aucune autre musique, car cette musique vivante contenait tout: par la vérité incluse, elle disait tout — la musique était alors religieuse par l’ouïe intérieure, par la soudure et la communion de l’homme et de la vie.
Puis vint la Chute, et le divorce intérieur amena le divorce extérieur, la scission de l’homme d’avec la vie.
L’homme perdit à ce point contact avec l’essence des choses. il fut comme un noyé en lui-même. Sur la roche du moi désert, il était seul au sein des flots. Et sur cette île du moi, il s’organisa. L’homme versa dans l’artificiel.
Et comme son langage avait régressé, et qu’il avait perdu le sens des voyelles originelles et des onomatopées premières, l’homme perdit de même le sens musical naturel de l’Univers ondé à des univers intérieurs de plus en plus angélisés jusqu’à Dieu.
Et ne pouvant plus chanter ses voyelles, ne pouvant plus moduler les divines diphtongues et les syllabes extasiées comme avant, l’homme inventa le chant — horrible gribouillage du geste originel.
Le chant fut une recherche vers les divines voyelles perdues, vers ce langage angélique des premiers temps.
Mais hors les vérités premières vocales et musicales et du sens lié du son et de la vérité, de la parole avec la musique de l’âme, — hors de toute correspondance spirituelle pour bercer son ennui, l’homme chanta.
Puis il vit un roseau, il y sentit jouer le vent, et il se dit: “Si le roseau chante dans le vent, pourquoi ne le ferais-je pas moi-même chanter, puisque je dispose du souffle?”
Et le plus grand sorcier parmi eux — qui par ce nouveau geste vers l’inconnu, faisait un geste de magie — celui-là inventa la flûte, où le souffle humain remplaça le vent au sein de l’”instrument”. Et le premier instrument musical était né, qui dut ébaubir les premiers êtres post-adamiques.
Et l’homme vit le vent jouer du tambour sur les eaux. Il prit donc un maillet et frappa sur l’eau, mais l’eau ne résonna pas. Alors il garda le maillet, et frappa sur un tronc d’arbre dur, et l’arbre résonna, mais avec un son sourd qui ne le satisfit point. L’homme se dit: “Cherchons ailleurs, — entre les deux, “ et il prit une peau de bête, et la tendit, et frappa le maillet sur cette chose qui donna le son voulu. Le tambour était né.
Par observation de la Nature ensuite, par imitations des gestes du vent sur les choses, l’homme découvrit d’autres instruments sonores, en voyant vivre la vie expérimentalement.
Les instruments musicaux, c’est la Nature mise en cage, et dont on en tire des voix sectionnées — du geste animal aux gestes du vent, passant par toutes les hiérarchies.
Ayant perdu l’orchestre vivant, du fait de ne pouvoir plus l’entendre que de l’extérieur des sons, l’homme “civilisa” ces sons par geste de magie, et retrouva leurs correspondances déformées par des voies artificielles mécaniques.
La superbe orchestration sonore de Wagner n’est en fait que cet effort de revenir vers l’orchestre naturel, en y intégrant la musique intérieure.
Wagner n’a cherché que les gestes métaphysiques des choses par la Toute-Musique. Il n’a cherché qu’à revenir à la Terre des Sons, et de là monter vers les harmonies célestes — souder le ciel de l’âme à la terre de vivre, mêler la musique intérieure à la musique extérieure du monde.
Toute musique profonde donc est une tentative de retour vers l’eden des sons, vers le son intérieur, vers les sons qui correspondent, vers une unité naturelle et surnaturelle.
Les instruments musicaux sont un moyen artificiel par quoi on cherche par fusion d’âme à réveiller la Nature en l’être et à le mettre en pleine musique des Premiers Temps.
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