XVI. La musique céleste

Écoute ce bruit de ruisseau. Entends chanter la cascade. Penche-toi sur ce miel des sons, qu'est le bourdonnement de l'abeille. Bientôt dans tous ces bruits, un son viendra vers toi. Dans cette coupe, trempe tes lèvres. Reçois le divin nectar. Et tu verras, au goûter, que ce cri n'est pas de la Terre.
Renifle ce son, comme on hume un parfum. Mets-le au fond de ton âme, et médite ce cri divin.
Et cette musique que tu entendras alors, sera inexprimable en termes des sons que nous comprenons sur terre. Ce sera un geste fluidique, et nous y sentirons une vibration, comme une présence. On se dira: “Quelque chose est là.” D'autres encore: “Je sens un frôlement d'ange.” Et celui-ci enfin: “J'ai senti l'Inexprimable.”
Or la cascade et le ruisseau, et l'abeille qui puise au fond des fleurs de rêve, auront déposé tous en nous une liqueur, qui passe les paroles. Butinant dans l'au-delà des sons, l'abeille du silence aura ramené dans notre être une liqueur inénarrable.
Qu'est cette présence divine? Qu'est cette musique angélique, puisée au sein des choses?
L'onde est balancement. Elle est équilibre. Ainsi est cette musique qui me met en paix en moi-même. La musique céleste est ainsi: pacification, baume, excellence.
Et le son au delà du son n'est plus une sonorité alors. Toute sonorité ici paraîtrait capharnaüm. Dans l'opium, l'être cherche-t-il des orchestres bruyants? Et qui songerait à écouter la musique au sein de la volupté — cette musique fut-elle l'essence même d'ouïr? Car dans la volupté, on a la musique en soi: c'est son essence d'être qui nous touche alors. Et cette essence est l'Universel, qui crée en nous une Harmonie.
Cette musique est communion. Et communion est musique, puisque toute musique cherche à relier. Et ce qui a chanté alors en nous, c'est la volupté d'être un.
La musique céleste est insonore.
Comme dans le cas du parler, les bas ciel ont une musique extérieure, et en montant la musique se transfuse. Et dans les ciels élevés, tout vient de l'âme, et la musique intime est tout alors, insonore dans le champs des sonorités. Du pivot de notre être, cette musique coule, comme d'une fontaine qui n'aura jamais de cesse.
Ici la métaphysique est devenue mystique et translucide dans Dieu. La musique est éclairée et insonore, pur geste de lumière au sein de nous-même.
La Musique de l'âme est la Paix — donc elle est sans bruits. Mais la chair chante alors, et le corps crie de joie, le sang roucoule comme une source, et le bègue, en aphasique, n'a que des cris informes dans les chocs sismiques des joies de l'âme.
La paix vertigineuse nous met en tremblement de terre. Or nous sommes calmes alors dans Dieu. Le pivot est translucide, et la chair est ravagée. La sérénité est en nous, et le débordement est au dehors — telles ces fleurs cadavériques de leur centre, et qui saignent de toutes leurs formes.
La tempête est dans notre corps, mais notre centre est cyclonique: le calme parfait est dans notre âme.
Ravagés de la parole, poètes terrestres; ravagés de la musique, compositeurs terrestres, — vous dont le centre est bruyant et le corps glacé de silence, gagnez l'Eden des sons par le geste angélique, soyez calmes en Dieu, en même temps que brûlés d'amour — retrouvez votre être intime, afin que la paix soit en vous, et que chassant la joie au dehors, vous pussiez avoir le geste créateur, qui dans la musique met un parfum céleste dans son centre, donnant à l'homme qui vous écoutera la paix, mettant dans la tornade de vos cris un hâvre béni.
La musique de paix est la suprême musique, puisque c'est le geste céleste des sons.
Dans le muet de la musique est son âme. Et la musique que tu n'as pas dite est ton suprême don au monde, ô grand compositeur. Tu fais cadeau à l'univers de ton silence, et ce geste peuplé est ta musique essentielle qui passera les siècles.
Toute musique suprême doit se servir des sons pour atteindre au silence — ce silence qui n'est pas le silence des hommes, mais le silence des cieux, et qui est Toute-Musique tout au fond, — la seule qui compte, car la parole est de l'homme, et le Silence est Dieu.
Malcolm de Chazal
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