On peux se demander comment vint au jour le chant, comment l’homme découvrit la musique.
La réponse est: l’homme découvrit en même temps et le chant et la parole.
Car musique et parole sont une transcription de connaissance. Toutes deux renferment la Voix universelle, qui est musique.
Qu’est la Voix Universelle?
Tendez l’oreille vers un torrent, vers le vent aigu, vers le bruit du feu ou le son de la roche qu’on cogne, ou les crissements du feuillage, ou les grondements du tonnerre, et vous verrez à chaque fois qu’il y a un lien commun entre tous ces sons. Et ce dénominateur commun se retrouvera en intégralité dans la voix de l’homme.
Donc, soit l’homme a imité ces sons, ou c’est naturel chez lui d’être le carrefour de tous les sons.
Dans le timbre, c’était naturel que l’homme contint la Voix Universelle. Mais les tons, il les prit de la Nature. Le ton est imitatif. Le timbre est instinctif.
Le ton donc est la musique extérieure et imitée, et le timbre est la musique intérieure et instinctive.
Ainsi un homme qui vivra dans les plaines tendra à avoir un ton particulier aux plaines. L’homme des montagnes aura un ton des montagnes. Au bord des flots, toute voix prend un peu voix de marins. Mais le timbre tout au fond de la voix restera toujours inchangé: c’est la musique profonde de la chair de l’âme, la résonance intime de nos os et des poumons intérieurs de notre pensée.
Le son intime, l’homme ne l’apprend pas. L’enfant sait crier, avant d’avoir entendu aucun des sons vivants. Dans ce cri est l’histoire de la musique de tous les temps, son essence. C’est le pivot intime qui ici se présente.
Mais cette voix ensuite sera recouverte par les acquisitions de l’ouïe. Ne restera que le timbre tout au fond, très au loin des frondaisons des tons. Dans les moments délirants, au sein des ultimes souffrances, à l’heure de l’agonie, le cri premier reviendra tout à coup tant soit peu dans notre voix, mais considérablement recouvert par les apports de la vie.
Le timbre donc est le geste volontaire, l’architecture, le geste érectile de la voix, son essence et sa force. Les tons sont les décors terrestres, l’habit de chair, l’ambiance de l’être, dans cette vie.
Le chant est une modulation, un élargissement de la voix: les séries de voyelles ici grandies et versées. Les voyelles jailliront du timbre et les consonnes viendront des tons. Ainsi sera constituée l’essence de la musique vocale.
Chanter, c’est parler avec une élasticisation du timbre et une modulation des tons.
Les Premiers Hommes chantaient dans leur parler. Le chant était chez eux à chaque seconde dans leur voix. Ce n’est que plus tard que l’être a séparé chant et parole.
Donc le chant humain est lié à la voix de tous les jours. Mais les compositeurs et les coutumes vocales ont créé des modulations tellement séparées et divorcées du parler courant, que chant et parler semblent de nos jours dans deux zones séparées de la vie. Chez les premiers hommes pourtant, rien de la sorte. Ici le chant était une émancipation du parler. Nul divorce. L’homme ne faisait que se dire dans le chant, en parler agrandi. Et pensées et sonorités étaient une même chose. La musique des lèvres était physique et métaphysique, comme le langage est physique et spirituel — corps des mots et essence de pensée.
Mais dans nos mots actuels, — où il y a divorce entre le son et la vérité contenue, — le son ne répond plus, ne correspond plus à l’idée contenue. Il y a ici un code et c’est tout, et non pas le mariage.
Or chez les premiers hommes, le son était marié à la vérité, le mot contenait la vérité sous forme de son et idée correspondants. Le son était idée, et idée était son. Car les premiers hommes connaissaient le sens spirituel des sons, et ils mariaient la sonorité à l’idée qu’ils voulaient exprimer, ou plutôt ils exprimaient la vérité-idée par le son-vérité.: ils disaient leur pensée par la musique des mots, métaphysiquement et phonétiquement en un. ils connaissaient le sens caché des sons, leurs correspondances avec la pensée intérieure.
Et l’on pouvait dire que ce que ces premiers hommes disaient n’était qu’une musique renfermant comme un vase de vérité.
Dans ce côté «son-et-connaissance-liés», était tout le langage des premiers temps. Et tout mot alors était musique métaphysique, sachet de vérité.
Ainsi en ces temps très anciens, n’y avait-il nul écart entre le parler et le chant, entre la vérité et la sonorité des mots — un seul vase était là — son contenant l’essence de pensée.
Parler métaphysique, chant métaphysique — toute la poésie et toute la musique d’aujourd’hui cherchent à les retrouver.
Cette chose qui était la vie courante des premiers hommes, est devenue chez nous aujourd’hui une recherche exaltée, — un but qui était à l’Origine pourtant un geste de départ à tout, une réalité, une évidence de tous les jours.
Par cet écart géant, nous pouvons voir à quel point nous avons régressé.
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