Le processus d’innovation est bloqué. Comment en est on arrivé là ? L’accès au consommateur a été verrouillé par Facebook, Google et Amazon, de la publicité à la vente, progressivement du paiement à la livraison. Soit vous êtes un faire valoir pour le moteur de recherche, le réseau social ou la place de marché, soit vous payez pour être placé au bon endroit, au bon moment. Pourquoi cela nuit-il à la créativité ? Après tout, Facebook permet à 140 millions d’entreprises de créer une page gratuite et 8 millions paient pour atteindre leurs cibles. Ne pourrait on pas au contraire parler de complémentarité ? Le problème est que les BigTech prennent la plus belle part de l’arbitrage recherché par les créateurs, en organisant l’accès au client par un système d’enchères. Un marché arbitré ne pousse plus à la création. Bill Janeway dans son livre
décrit l’innovation comme un arbitrage que la mise en place du débouché permet de concrétiser, donnant des perspectives de x20 ou x30, compensant le risque:
Dans l'ère prémoderne et préindustrielle qui est le sujet de Braudel, «le jeu capitaliste ne concernait que les connexions inhabituelles, très spéciales ou à très longue distance». «C'est dans le commerce à longue distance que les capitalistes de Braudel ont prospéré: -le commerce à distance a certainement fait de super profits, il était après tout basé sur la différence de prix entre deux marchés très éloignés, avec l'offre et la demande dans l'ignorance complète l'un de l'autre et mis en contact uniquement par l'activité d'intermédiaires .. Si dans la plénitude de temps la compétition est apparue, si les super-profits disparaissaient d'une ligne, il était toujours possible de les retrouver sur une autre route avec des produits différents. Flexibilité illimitée pour arbitrer à travers un vaste espace géographique: c'est l'attribut définitif de Braudel du capitaliste prémoderne. Et la recherche de «super-profits» préfigure la recherche canonique par des investisseurs aventureux d'opportunités avec des «distributions asymétriques de résultats»: inconvénient limité («nous ne pouvons pas perdre plus que tous nos investissements ") et à la hausse sans limite.
La notion d'arbitrage comme essence de la transaction capitaliste a une résonance puissante. Pour le capital-risqueur moderne, l'arbitrage se situe généralement entre une innovation technologique et le produit ou service commercial qui peut en être dérivé. Ma propre expérience suggère que trop de poids est souvent accordé à la gestion du processus de transformation technique - «recherche et développement» - et trop peu à la sélection du marché cible et à l'établissement d'un canal vers ce marché.
Le système d’enchères développé par Google ou Facebook est astucieux car il permet de montrer que ces deux groupes ne profitent pas de leur position dominante sur le marché publicitaire digital pour pratiquer des prix de monopole. Grace à ce système au contraire, ils attirent les annonceurs au plus juste prix, en réduisant les frictions. C’est la loi de l’offre et de la demande qui s’impose dans des marchés de plus en plus arbitrés, le nombre de candidats augmentant constamment. Le mythe des prix de bandits pratiqué par Facebook et Google est inexact. En revanche, le marché du débouché commercial étant arbitré, une grande partie du potentiel financier lié à l’acte de création s’évanouit et du coup la motivation pour créer aussi...Chamath Palihapitiya le résume ainsi dans la lettre 2018 de Social Capital :
Il fut un temps où investir de l'argent dans une start-up était une sorte d'exercice de boîte noire : Les premiers investisseurs d'Intel savaient qu'ils pariaient sur un nouveau type de microprocesseur, mais les étapes techniques et de mise sur le marché nécessaires pour se rendre du point A au point B exigeaient une exploration considérable de l'inconnu. Aujourd'hui, l'investissement à risque a pris une tournure différente. La plupart des nouveaux produits et services sont conçus en grande partie à partir de logiciels de cloud computing et de logiciels libres loués, et les modèles commerciaux des logiciels se répartissent généralement en quelques catégories bien comprises (ad supported, SaaS, freemium, etc.). Aujourd'hui, le plus difficile pour la plupart des jeunes entreprises est de trouver le chemin du marché : il faut d'abord trouver un produit adapté au marché et un moyen d'atteindre les clients, puis construire une machine impitoyable pour les acquérir, les monétiser et les conserver. C'est pourquoi, lorsque l'industrie du capital-risque investit aujourd'hui des capitaux dans des start-ups à croissance rapide, la majorité, voire la totalité, des capitaux investis sera consacrée à l'acquisition d'utilisateurs et aux dépenses publicitaires, pour le meilleur ou pour le pire (généralement le pire).
La créativité pour trouver un aboutissement dans notre système capitaliste nécessite un investissement significatif, lequel doit être amorti sur des achats répétés. Une route sûre vers le client doit être imaginée et tracée. L’équivalent de la route de Braudel aujourd’hui est la communauté de fans qu’on peut fédérer autour de son offre. Les agrégateurs, en faisant payer le prix de marché pour accéder au client, tuent la relation qu’il pourrait y avoir entre le créateur et son client, ne laissent aux créateurs potentiels qu’une logique de coups à court terme, les privant de capacité d’investissement et les incitant au recyclage de l’existant. Typiquement on recycle des articles de journaux (Facebook), des maisons (Airbnb), des voitures (Uber)...
Dans l’économie capitaliste, en plus des perspectives rationnelles de profit important, il y a deux moyens supplémentaires pour favoriser l’innovation:
L’intervention de l’Etat: par exemple, la création d’internet ou du grand réseau autoroutier après guerre aux Etats-Unis ou des nouvelles frontières de l’espace ayant propulsé l’industrie des semi-conducteurs.
Les bulles financières qui permettent de financer les projets les plus fous, Certains créateurs d’innovations spectaculaires. Citons la bulle des télécommunications en 2000, qui a permis de poser des réseaux en fibre optique reliant les continents en surcapacité inimaginable au début, mais qui a servi de fondation à l’internet d’aujourd’hui, au cloud, etc.
Force est de constater que ces deux moteurs de l’innovation sont également en panne. L’Etat, surendetté s’occupe d’avantage de répartition que d’investissement. Les taux zéro tuent la prise de risque: une petite croissance régulière suffit à une valorisation en théorie infinie. Pourquoi aller chercher plus loin ?
Le blocage est donc total: notre monde occidental centré sur la consommation se trouve alors complètement impuissant quand le contexte change radicalement comme avec le COVID-19, incapable d’utiliser sa capacité productive intelligemment, la seule solution devient le confinement et la cessation de toute activité productive.
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