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Je vous écris d’une ville convalescente. Hier meurtrie par le tourisme de masse, polluée par les « grandi navi », traumatisée par l’acqua grande de novembre, la Sérénissime reprend son souffle. Délaissée par ses visiteurs dès les premiers soupçons de danger mortel entre ses murs, abandonnée à son sort, Venise a retrouvé sa dignité et il n’aura fallu que deux semaines à ses habitants pour en reprendre possession et en retomber follement amoureux. Deux semaines pour se dire que, tant qu’à être assigné à domicile, autant que ce soit dans la plus belle ville du monde!
Les vénitiens respectent à la lettre les consignes chaque jour plus restrictives que la prudence, le bon sens et le respect d'autrui leurs imposent. Après les musées, les théâtres, les écoles, tout a fermé ici à l’exception des pharmacies et des magasins de nourriture - que personne n’a eu l’inélégance de dévaliser! Il n'est permis de sortir que pour faire ses courses, travailler ou aller chez le médecin. Les petites promenades de santé sont tolérées mais pas question d’aller voir ses amis. Ici, on peut compter sur le sens des responsabilités de chacun pour ne pas chercher à enfreindre des règles dictées dans l'intérêt de tous. Nous sommes donc bel et bien cloîtrés mais pas prisonniers puisque nous acceptons notre sort. Et puis il y a quelque avantage à vivre ici cette période singulière.Dans son splendide isolement d’aujourd’hui, Venise nous fait redécouvrir les vertus de la lenteur, de l’introspection, de la contemplation. A travers une simple fenêtre, il y a toujours matière ici à s’émerveiller, à redécouvrir et s'attarder sur quelque détail qu'on avait fini par ne plus voir tant la beauté est ici omni-présente et offerte.
Alors que le printemps pointe son nez dans une Venise absolument déserte, nous savons tous que lire au soleil à une terrasse de café ne sera pas possible avant longtemps et qu’il nous faut inventer de nouvelles manières de vivre puisque tout ce qui semblait évident, incontestable, immuable, tout ce que nous tenions imprudemment pour acquis a volé en éclat. Alors que nous courions sans cesse d’une distraction à une autre ( loisir, travail, voyage..), pensant déjà à la suivante, nous n'avons plus d'autre choix que de vivre intensément l’instant présent pour trouver notre propre liberté derrière les portes closes de nos maisons.
La nuit descend sur Venise, ma ville de coeur où je me suis toujours sentie à la fois libre et protégée. Par la fenêtre ouverte on n'entend que le silence, luxe suprême de ces jours étranges. Aux façades des palais, des draps peints par les enfants proclament en lettres arc-en-ciel que « Tutto andra bene ». Prenez soin de vous, mes amis ❤️
Arièle Butaux
Venise, 15 mars 2020, 6ème jour de confinement
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