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Je vous écris d’une ville où les chiens promènent les humains et où la farine commence à manquer parce que la pasta a casa est redevenue la première religion du pays!
Venise s’installe dans un silence hors du temps dont elle s’est accommodée si vite qu’on se demande déjà comment c’était avant et comment ce sera après. Puis le vent, hier, est arrivé en bourrasques, faisant claquer les volets, grincer les maisons, clapoter les canaux. On n’entendait que lui lorsque la Marangona, la plus grave des cinq cloches du campanile de San Marco, sonna le partage de la nuit, douze coups pour tourner la page.
Au dix-septième jour de quarantaine, la « spesa » demeure le moment clé de la journée. Dans leur ville toute à eux, les vénitiens font leurs courses avec le même flegme que lorsqu’ils faisaient la queue devant les épiceries en novembre dernier, de l’eau jusqu’à mi-cuisses, pendant l’acqua grande. Etre vénitien, c’est faire face! Gémir n’est pas de mise à Venise…
Au marché du Rialto, ce matin, quelque chose a changé. Des maraîchers un peu plus nombreux qu’hier, davantage de poissonniers et un frémissement, un presque rien qui, malgré la prudence et les distances soigneusement respectées, pétille discrètement comme le Prosecco à la surface du verre.
Chez Paola, figure historique du marché, s’exposent toutes les saveurs des jardins de la lagune et d’Italie, des fruits et légumes témoignant de la générosité de la terre et de ceux qui la cultivent. De ceux aussi qui se lèvent tôt le matin pour nous l’apporter. Dans cette abondance et dans l’appétit qui nous conduit ici, je veux voir un signe de vie, obstiné et tenace, comme une rivière souterraine prête à émerger au soleil.
Un débat on ne peut plus sérieux s’engage sur la variété d’aubergine idoine pour la parmigiana. On se tient à trois mètres les uns des autres mais pour un peu on se mettrait tout de suite à cuisiner ensemble! On entend des rires et cela fait du bien. On avait un peu oublié comment cela sonnait, un rire à Venise.
Universelle comme la musique, la cuisine est partage, plaisir, instinct de vie. Résistance. Et dans cette ville où, toute pollution disparue, les effluves douces ou épicées courent librement les rues, c’est le coeur heureux que l’on rentre chez soi, le panier aux merveilles à bout de bras et la gratitude au coeur. De retour à la maison, dans le secret de nos cuisines, j’aime à penser que la conversation du marché se poursuit et que nous communions au delà des murs, avec ceux qui vont bien comme avec ceux qui souffrent, avec ceux qui nous manquent et qui ne quittent pas nos pensées, dans des gestes simples et essentiels qui sont un hommage à la vie. Andrà tutto bene.
, Venise, le 26 mars 2020
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